Le concept des Harlequinades : lire un ou plusieurs Harlequins, tout dépend de votre résistance à l’effort, dans n’importe quelle collection et lui consacrer un billet mettant en perspective les aspects littéraires, sociologiques, géopolitiques ou culinaires de l’affaire.
* La première phrase : “Jenna Saint-Clair s’arrêta quelques instants sur le palier du premier étage pour vérifier sa tenue dans le grand miroir mural.”
Dès cet incipit qui évoque les plus belles pages du catalogue Ikea, la lectrice (et votre serviteur) devine que cette pouffe est une fashion-victime. Vers la page 110, ça se vérifie : elle est au fond de la jungle, elle a été obligée d’abandonner la Range Rover, elle vient de fuir un feu de brousse mais… elle découvre miraculeusement des fringues de rechange au fond de son sac de couchage.
* L’homme : “Elle le devinait grand, puissant. Son attitude nonchalante évoquait à la jeune femme la pose indolente d’un félin au repos”.
Avec de pareils indices, comment ne pas détecter dans cette description que le guide de safari même pas mal rasé est un en réalité un ancien banquier irlandais qui a pris le large après une sombre histoire dans laquelle il est mystérieusement blanc comme neige ?.
* Un début de chapitre : La couleur du ciel, ce matin, évoquait l’or pur.
Dans cette image puissante, Anna James indique au lecteur le thème dominant du rebondissement spectaculaire : tout ça n’est qu’une histoire d’argent et de trafic d’armes.
* Le bisou : “Jenna, je crois que je vais être obligé de vous embrasser… murmura -t- il”.
On sent chez Anna James une rage dialoguatoire contenue, un art de la formule inédite. Pareille concision, pareil appel au paradoxal “obligé” remet en question et en une seule phrase tous les paradigmes relationnels depuis Kant et Kierkegaard. Un auteur d’exception au sommet de son art…
* La scène “ils passent à l’acte”
Elle était radieuse, plus belle et désirable que jamais. Et nue… Dans la fièvre de leur étreinte, le drap d’éponge qui l’enveloppait s’était dénoué et avait glissé sur la mousse, dévoilant ses seins adorables, son ventre clair, ses hanches doucement galbées, ses jambes longues, élancées. Enfin, elle lui offrait sa nudité, émouvante, pudique et provocante.
Notons les efforts que fait Anna James pour laisser à notre imagination la couleur et la marque du drap d’éponge, laissant la lectrice fasse à une interrogation métaphysique vertigineuse : “où se procurer le même ?”
La dernière phrase : “Avec un sourire énigmatique, Karl murmura “Moi si, Jenna…”
On l’aura compris en lisant ces quelques extraits : la condition de l’homme blanc en Afrique noire, les difficultés à retrouver une cité antique à l’heure du satellite et la coupe de cheveux optimale pour affronter un safari quand on est une actrice à la recherche de la tombe de son père sont les thèmes centraux de ce texte fort. N’ayons pas peur des mots, l’histoire de la littérature mondiale se divise en deux périodes : avant “Safari à Marakuda” et après “Safari à Marakuda”.
Harlequinade 2009
To be or not to be……